L’élection du cardinal argentin Jorge Mario Bergoglio au trône de saint Pierre a été accueillie avec soulagement tant par le Kremlin que par le patriarcat orthodoxe de Moscou.
L’accueil positif de l’élection de François en Russie s’explique par la personnalité du nouveau pape, un jésuite ascète qui partage les positions conservatrices du Kremlin sur les problèmes de société et ne fait pas mystère de ses sympathies pour l’orthodoxie et pour la Russie, qui cherche à se poser à la fois comme un rempart contre le délitement de la famille, et comme le défenseur des chrétiens confrontés à la poussée de l’islamisme radical.
L’élection du pape François a été très fortement médiatisée, preuve de l’importance que les autorités russes attachaient à la personnalité du successeur de Benoît XVI avec lequel elles entretenaient de bonnes relations. Du jamais vu, les Russes qui, généralement, ne s’intéressent pas vraiment à ce qui se passe dans les autres Eglises que la leur, ont suivi avec passion les événements du Vatican. Pendant plusieurs jours, les grands quotidiens nationaux et les chaînes de télévision ont rapporté par le menu les préparatifs du conclave, examiné les chances des différents papabile et ont montré en temps réel la fumée blanche s’échappant de la cheminée de la chapelle Sixtine. Par ailleurs, la population fascinée par les coupoles dorées mais nostalgique des anachorètes qui ont peuplé la spiritualité russe, a éprouvé un élan de sympathie pour ce pape au visage ascétique, venu du bout du monde, et qui a choisi le nom d’un grand saint, ami des humbles et des animaux. «C’est un homme bon, simple, il sera le pape des pauvres, des déshérités, il vivait dans un petit appartement sans serviteur», estime Ivan, un étudiant interrogé par la Radio Echo de Moscou. «J’ai entendu qu’il avait lavé puis embrassé les pieds des malades du sida», renchérit Anna, une retraitée de 60 ans qui se réjouit de la position du pape sur le mariage homosexuel et sur l’euthanasie. Quant au diacre André Kouraev, professeur à l’Académie spirituelle de Moscou, il a confié au journal en ligne Vzgliad avoir été très impressionné par le geste du souverain pontife inclinant la tête devant les fidèles en demandant à la foule de prier pour lui et de conclure: «L’élection du pape François promet de sérieux chamboulements au sein de l’Eglise catholique».
Entre Moscou et le Vatican
Après les tiraillements pendant le pontificat de Jean-Paul II qui avait du mal à cacher sa méfiance viscérale vis-à-vis de la Russie, le règne de Benoît XVI avait été marqué par une embellie. Les deux parties occultant les sujets qui fâchent (par exemple la question toujours pendante des catholiques de rite byzantin) pour se concentrer sur les préoccupations communes, «la préservation des valeurs morales et éthiques au sein de la société et dans les relations internationales». Pour preuve, c’est le chef d’Etat russe lui-même qui a appelé le nouveau pape à poursuivre «le dialogue actif avec la Russie sur les principales questions internationales et le règlement pacifique des tensions et conflits». Dans un télégramme de félicitation particulièrement chaleureux, le président Vladimir Poutine a exprimé clairement les attentes de la Russie. «Je suis persuadé que la coopération constructive entre Moscou et le Vatican continuera à se développer sur les bases des valeurs chrétiennes qui nous sont communes, a-t-il dit. J’adresse à Votre Sainteté mes vœux de succès dans la consolidation de la paix et dans la promotion inter-civilisationnelle et interreligieuse».
Le patriarcat de Moscou s’est également dit satisfait du résultat du conclave. Au cours d’une conférence de presse, le métropolite Hilarion de Volokolamsk, chef du département des relations ecclésiastiques extérieures du patriarcat, a noté la nécessité d’une union étroite entre catholiques et orthodoxes pour protéger les chrétiens persécutés, avant de confier que le pape François, lorsqu’il était archevêque de Buenos Aires, avait entretenu des contacts étroits avec l’Eglise orthodoxe très présente dans la capitale argentine. «Le pape François a toujours manifesté sa sympathie pour l’Eglise orthodoxe et son désir d’établir des contacts étroits avec cette dernière. Il s’est souvent rendu à la cathédrale de l’Annonciation (cathédrale orthodoxe de Buenos Aires) pour assister à la divine liturgie et s’entretenir avec les membres du clergé et les fidèles et il est même personnellement intervenu pour nous soutenir contre une secte nommée «congrégation orthodoxe russe qui avait l’intention de prendre notre place».
Le soutien des minorités
Reste que le rapprochement entre la Russie et le Vatican, qui devrait non seulement se confirmer mais s’intensifier avec le nouveau pape, fait partie d’une stratégie à la fois «soft» et offensive, dont l’objectif est de poser la Russie en défenseur des minorités chrétiennes. Les Printemps arabes ont détruit tous les bastions que la Russie postsoviétique avait reconquis à grand-peine, privant Moscou de la plupart de ses points d’ancrage au Proche-Orient. D’un autre côté, les pays occidentaux et en particulier les anciennes puissances coloniales ont largement sous-estimé les Printemps arabes notamment le rôle des islamistes radicaux au sein des mouvements de protestation. Prises en tenaille entre des régimes impopulaires et des groupuscules jihadistes, les anciennes puissances coloniales ont abandonné le rôle de protecteur des minorités chrétiennes qu’elles étaient parvenues à maintenir contre vents et marées au cours des siècles (alliance du Lys et du croissant conclue par François premier et Sulaiman le magnifique). Se sentant abandonnées, les minorités se sont tout naturellement tournées vers la Russie, qui a profité de l’aubaine.
Dans ce cadre, le Kremlin a multiplié avec un certain succès au cours des derniers mois les gestes de séduction vis-à-vis des responsables religieux et politiques de la région.
Le 27 février, le patriarche maronite d’Antioche et de tout l’Orient, le cardinal Béchara Raï, a passé deux jours à Moscou avant de se rendre au Conclave. Reçu par le patriarche Cyrille de toutes les Russies au monastère Saint-Daniel, il a déclaré que «les maronites étaient présents en Orient avant la conquête islamiste et refusaient d’être considérés comme une minorité», avant de confirmer la volonté des maronites de travailler avec l’Eglise orthodoxe russe.
Quelques jours plus tard à la suite d’un entretien entre Vladimir Poutine et le leader palestinien Mahmoud Abbas, les deux parties annonçaient la création à Bethléem d’un centre de pèlerinage semblable à celui qui existe sur la rive du Jourdain à l’endroit présumé du baptême du Christ.
Nathalie Ouvaroff, Moscou
Référence Bibliographique
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